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Docteur en histoire moderne et contemporaine de l’université de Poitiers en France, mes recherches portent sur les sociétés rurales africaines en situation de sédentarité et de migration internationale dans la longue durée. Mes zones d'études et de recherches sont essentiellement la ville de Bakel (Sénégal) et la région parisienne (France). Depuis octobre 2017, je suis professeur d’histoire-géographie à l'Académie de Créteil (France). Parallèlement à l’enseignement et à la recherche, je m’engage dans la vie associative. Je suis en effet le chargé de la communication de l'Association des Jeunes de Bakel en France et le président de la Commission scientifique de l'Association des Anciens de l'Ecole primaire Ibrahima Malal Diaman Bathily de Bakel (ex-école régionale).

Hommage à notre « père » et « grand-père » feu El Hadji Samba Maimouna DRAME (v. 1922-2016)

Si j’ai décidé d’écrire ce modeste texte sur feu notre « père » et « grand-père » El Hadji Samba Maimouna Dramé (ancien imam de Bakel), rappelé à Dieu ce jeudi 24 novembre 2016, c’est à la fois, en tant qu’historien, une façon pour moi de mettre en lumière le parcours d’une figure religieuse qui a rendu service à sa ville (Bakel), à sa communauté et à la communauté musulmane mais aussi de rappeler les liens d’amitié, de respect et de considération que j’ai tissés avec certains de ses enfants et de manière marginale de rendre hommage à un lien familial qui nous unit à travers une de ses sœurs.

Il est important de souligner que les informations qui suivent proviennent des entretiens que j’ai avec certains membres de sa famille mais aussi avec son fidèle ami, parent et compagnon spirituel Diaman Bathily. En effet, deux éléments sont ainsi importants à retenir sur la trajectoire historique de cette figure religieuse de Bakel : c’est d’une part la longévité de son imamat et d’autre part la politique d’ouverture communautaire et spirituelle qui a accompagné cet imamat.

El Hadji Samba Maimouna Dramé serait né vers 1922. Après une brève formation à l’école française (niveau cours d’études primaires) à l’école régionale de Bakel (actuelle école Ibrahima Malal Diaman Bathily) et des études coraniques auprès de son père Mamadou Dramé, il alla poursuivre, à l’âge de 25 ans, sa formation au Soudan français (actuel Mali). Après avoir passé un mois auprès de son oncle Ladji Sima à Kayes, il réussit à acquérir des revenus lui permettant de payer son voyage vers Nioro du Sahel. Dans cette ville, il a eu comme « maître » El Hadji Aboubacar Cissé Diakhité. Il poursuivit auprès de ce dernier des études religieuses approfondies. À Nioro, son « diatigui » (logeur) était Kandé Diabi. Il y passa cinq années, de 1950 à 1955, avant de retourner à Bakel. Plus tard, El Hadji Samba Dramé projeta de migrer en France. Il séjourna d’abord en Casamance (où il passa plusieurs années), puis en Sierra Leone où il pratiqua le commerce et migra enfin en France au début des années 1960.

Après quelques années de séjour, il retourna à Bakel. Mais il migra pour une deuxième fois en France puis revint à Bakel où il s’installa définitivement. D’après certains dires de l’environnement familial, la raison de ce retour était liée au fait que leur « grande concession » était menacée de disparaître, du moins le « follaque » (bâtiment) de son père. Après ce retour, il s’occupa de l’école coranique de son père, dispensa des enseignements religieux et dirigea pendant plusieurs années une mosquée à N’diayega. El. Hadji Samba Maimouna Dramé exerça la fonction d’imam de la « grande mosquée » entre 1995 et 2004 (elle se prolonge jusqu’en 2008 selon d’autres versions). C’est au même moment qu’il s’approcha de Médina Gounass (cité religieuse située au sud-est du Sénégal fondée par Tierno Mamadou Seydou Bâ, appartenant à une des branches de la « tidjania umarienne »). Ce serait par l’intermédiaire de Diaman Bathily, un enseignant et fils d’Ibrahima Malal Diaman Bathily, également de ce courant religieux que ce contact spirituel a été noué.

À son retour à Bakel, El. Hadji Samba Maimouna Dramé garda le contact avec ses « maîtres » et assistait régulièrement à leurs activités religieuses, dont la plus importante est le « daaka » de Médina Gounass (village peul situé  au sud-est du Sénégal). Samba Maimouna Dramé, attaché à la « tidjania umarienne » faisait ses prêches dans plusieurs langues locales, dont le peul. La personnalité d’El Hadji Samba Maimouna était incommensurable. D’ailleurs, il a su gérer avec tact également la douloureuse crise de la « grande mosquée de Bakel » de 1995-1996. Car il a œuvré à la carte de l’apaisement et de la réconciliation des cœurs et des esprits. Les témoignages étaient non seulement unanimes sur sa lucidité durant cet épisode mais aussi sur sa capacité à instaurer au dialogue. Cela a d’ailleurs fait qu’il a gagné le cœur des Bakelois et des Bakeloises de cette époque.

El Hadji Samba Maimouna Dramé était un imam courtois et avait le sens des relations humaines ! C’est vrai qu’il était pétri de qualités intellectuelles, mais il avait l’humilité de rendre visite aux malades, aux autorités coutumières et religieuses, aux jeunes, adultes et vieux, aux femmes, aux pauvres, aux mendiants, aux talibés, etc. C’est cela renforçait sa très grande personnalité. La vérité oblige à dire qu’en plus de parler plusieurs langues locales, il avait un niveau d’instruction élevé en français, développait des affinités avec d’autres groupes ethniques et était, dit-on, proche de la « masse ». Bref, c’est l’humaniste au sens propre du terme ! Grand orateur et maniant très bien l’arabe et le soninké, la forte personnalité de cet homme était doublée d’un esprit d’ouverture.

El Hadji Samba Dramé a exercé un imamat ouvert. Cette ouverture se manifeste non seulement dans ses discours religieux mais aussi dans son souci à sortir de la communauté soninké stricto sensu. Il était en vérité l’imam de toutes les communautés religieuses et ethniques ! Ce qui est une preuve de tolérance, un gage essentiel d’un musulman et d’un imam notamment dans le contexte africain. C’est d’ailleurs ce qui faisait que la grande mosquée de Bakel était bondée à chaque grande prière du vendredi, et ses prêches, il faut le dire, tenaient en haleine toute l’assistance. Car celles-ci se étaient non seulement multilinguistique (arabe, soninké, wolof, peul, etc.) mais aussi étaient accompagnées d’un ton véridique mais surtout d’une voix agréable à écouter. Ces lignes sont peu pour retracer la vie et l’œuvre de cet homme multidimensionnel. Cela est juste un modeste hommage que j’ai souhaité lui rendre. J’envisage un projet scientifique sur son œuvre dans les prochaines années si Dieu me prête santé et longue vie. Si toutefois vous avez des commentaires à me faire parvenir, n’hésitez surtout. Car Dieu Seul sait.

Notre « père » El Hadji Samba Maimouna Dramé dit « Marabout », un homme « de Dieu et des hommes », repose désormais au sein de la petite mosquée de N’diayega au bord du fleuve Sénégal. On peut effectivement affirmer que sa vie a été plus qu’utile. Prions ainsi pour que la terre de Bakel lui soit légère et que le Paradis soit sa demeure éternelle. Car en vérité, nous sommes tous à Allah et c’est à Lui que nous allons retourner.

Paix à son âme !

Auteur : Saliou Dit Baba DIALLO, Docteur en histoire (Université de Poitiers, France) 

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