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Docteur en histoire moderne et contemporaine de l’université de Poitiers en France, mes recherches portent sur les sociétés rurales africaines en situation de sédentarité et de migration internationale dans la longue durée. Mes zones d'études et de recherches sont essentiellement la ville de Bakel (Sénégal) et la région parisienne (France). Depuis octobre 2017, je suis professeur d’histoire-géographie à l'Académie de Créteil (France). Parallèlement à l’enseignement et à la recherche, je m’engage dans la vie associative. Je suis en effet le chargé de la communication de l'Association des Jeunes de Bakel en France et le président de la Commission scientifique de l'Association des Anciens de l'Ecole primaire Ibrahima Malal Diaman Bathily de Bakel (ex-école régionale).

Hommage à feu El hadji Mabo Dramé, ancien imam de la grande mosquée de Bakel (v.1919- 2004).

Mosquée de Guidimpalé

Dans un entretien du 19/08/2014 à Paris, M.D.D, travailleur migrant et un des enfants de feu El Hadji Mabo Dramé, fin connaisseur de la généalogie familiale (dambe) et très attaché aux liens de parenté (suumpu), nous livre en substance un récit intégral résumant bien la vie et le parcours de son père :

« Mon père a passé une partie de son enfance à la famille Wane auprès de Mpaly Wane, un grand marabout connu de tous à Bakel. C’est auprès de lui qu’il a fait ses études coraniques et sa socialisation. Mpaly Wane était un père pour lui. Après les études coraniques primaires, il reste toujours à Bakel mais en passant à un niveau supérieur dans sa formation religieuse dans le Moysi au Khodje. A la fin de cette forme religieuse, il part en Guinée en 1949 dans le cadre du commerce puis retourne en 1966 à Bakel. En ce moment, Boulay Khoulé avait pris de l’âge et était tombé malade. C’était entre 1967 et 1970. C’est ce qui était à l’origine de son départ de la Guinée. Mon père a fini par faire le regroupement familial. Il était avec sa première épouse. Il était avec son ami Tiondy Diakho. Mais la Guinée était dure avec le régime de Sékhou Touré, l’activité commerciale ne marchait pas. C’est comme ça qu’il est revenu à Bakel pour s’occuper des activités religieuses et familiales. Boulay était retourné à Dakar en 1975 jusqu’en 1978 son décès. Il n’avait pas d’enfant. Mouktar a grandi auprès de lui. Niouma, elle a grandi auprès de notre tante Sété à N’diayega. En 1964, nous avions quitté la Guinée avec notre maman. J’avais 7 ans et ma petite sœur Khoulé, 4 ans. Après quelques jours passés à Dakar, nous sommes allés à Bakel. Il y avait Boulay Wane dans la grande maison à Dakar. On n’est venu avec lui. Nous avons pris le train express, jusqu’en Kidira puis de Kidira nous sommes partis à Bakel via le fleuve Sénégal. Nous étions à l’aise en Guinée. C’est pourquoi le retour à Bakel était très dur à vivre. Nous sommes restés à Bakel. Mais mon père est retourné à Bakel en 1966. Nous étions à l’école coranique en Guinée. Une fois à Bakel, mon oncle Boulay Khoulé n’a pas voulu qu’on aille à l’école française. Nous sommes restés dans le moodi haarengé (apprentissage coranique). Quand mon père est revenu, mon père n’avait pas de pouvoir. C’est mon oncle qui décidait de tout. »

En fait, le choix de me pencher sur la vie et le parcours de cette figure religieuse emblématique de Bakel tient à deux principales raisons : d'une part la durée de son imamat et d'autre part la controverse qu'a suscitée sa succession dans l'histoire religieuse de la ville de Bakel. El hadji Mabo Dramé est issu d’une grande famille Dramé de Bakel de la lignée des Dramé Kanji. Ses origines familiales remontent à Dramané (selon d’autres versions la famille serait venue de Gunjuru et Yuuri toujours au Mali, précisément dans le quartier Seembela), une ancienne ville commerciale et religieuse du Haut-Sénégal. En quittant le Mali, la famille Dramé était arrivée avec deux autres familles celles de feu El hadji Mamadou Sikhou Dramé (accueillie par la famille Sakho de Modinkané, cette parenté a commencé depuis le personnage Manthita, fille de Marihéra et de Assiya, épouse de Diamé Dramé) et d’El hadji Samba Maimouna Dramé (restée elle autonome) avec qui elle est liée depuis Bakary Awa qui a eu comme enfant Diamé (arrière-grand-père d’El hadji Mabo Dramé) et Salou (arrière-grand-père de Samba Maimouna Dramé). Les liens de parenté avec ces deux familles précèdent leur établissement à Bakel. Une fois à Bakel, la famille de feu Mabo Dramé était elle accueillie par une autre famille maraboutique Wane. Pour preuve, la mère de Diamé, un personnage de la deuxième génération, s’appelle Feinda Wane. D’où les relations particulières qu’elle tisse avec les Wane, cela dans le cadre des alliances matrimoniales se perpétuant jusqu’aux générations actuelles. A Bakel notamment dans le quartier de N’diaygea, les trois maisons Dramé formaient une seule . C’est avec la guerre de Mamadou Lamine Dramé qu’ils se sont retrouvés à Modinkané. La raison de la présence de cette famille Dramé à Bakel est liée à la pratique d’une activité commerciale mais aussi religieuse. Leur habitation a commencé d’abord vers N’diayega. Progressivement, elles sont démultipliés en trois. Elles tissent des liens avec la famille Dramé de Khodjé.

Feu Mabo Dramé appartient à la cinquième génération de la famille Dramé si l’on part du personnage Bakary Awa qui est le premier personnage à être établi à Bakel. Fils de Biagui Dramé et de Fanta Djafra Dramé de la famille Dramé de Diawara, né dans l’environnement d’une famille nombreuse, Mabo était dans une fratrie plus ou moins nombreuse. Mabo, seul garçon de sa mère, avait trois sœurs (Issama, Sété et Bouthié) avec qui il partage la même mère et le même père. Il a deux demi-frères Boulay Khoulé (lui a migré vers la Côte d’Ivoire puis au Mali à Diboly et d’autres villages dans le cadre de daawa, activité religieuse et de guérisseur, d’où son mariage avec feue Fenda Soumaré fille d’un marabout et chef de village de Diboly, Mali) décédé en 1978 et Fodé Salou et une demi-sœur Issima.

Comme dans la majorité des familles maraboutiques soninké où la socialisation est de rigueur, Mabo passa une grande partie de son enfance et de son adolescence dans la grande famille auprès de son père Biagui, un marabout et commerçant. Parallèlement à ses activités religieuses, il allait aux champs comme tous les enfants du quartier Modinkané et des familles maraboutiques. Il passe sa formation primaire auprès de son oncle Boulay Khoulé autour du Harayimbe puis dans le moysi au Khodje.

Après sa formation coranique, du fait de sa position avantageuse dans la fratrie, il échappe à la fameuse contrainte de sédentarité de l’ainé, il séjourna en Guinée Conakry dans le cadre d’une migration commerciale. Plutard, ses épouses le rejoignirent. Ses premiers enfants étaient d’ailleurs nés en Guinée. La maladie et l’âge avancé de son frère ainé, rendant la maison paternelle presque vide, l’obligent à rentrer à Bakel en 1966 après plusieurs années passées en Guinée. Parallèlement, il s’occupait de sa famille mais faisait le commerce.

Après Fodé Ladji Dramé, Drissa Kébé, Mamadou Sakho, Mpaly Wane, Tiondy Dramé, Fodé Tarmata Dramé, il devient dans les années 1980, d’après les informations recueillies, le 6e imam de l’histoire de la grande mosquée de Bakel. Après une longue période de controverses autour de l’imamat de Mpaly Wane, Mabo occupe l’imamat de la ville de Bakel, fonction qui était une fois exercée dans le passé par son demi-frère. Il exerce ce rôle avec Fodé Tarmata Dramé, le cousin de Tiondy Dramé. C’est avec la maladie de ce dernier que Mabo Dramé hérita entièrement de l’imamat. Pour rappel, Mabo avait fait son Moysi au Hodje. Il a avait refusé la fonction d’imam au départ parce qu’il estimait que la morale et la tradition l’empêchaient d’être devant des ainés comme Fodé Boye et Mamadou Sikhou. Ce qui était un signe de modestie et de respect. Ces deux qualités ont désarmé les plus âgés au point de lui confier la lourde fonction d’imam. C’est donc une occupation en douceur ayant suivi l’ordre protocolaire et hiérarchique. Son imamat ne relève pas d’une contestation encore moins d’une imposition par la force.

En dehors de ses compétences intellectuelles et religieuses, sa probité, son sens de la diplomatie et son respect des autres étaient connus de tous. C’est en 2003, suite à une maladie qu’il passa le relais à non neveu Samba Maimouna Dramé, une transmission qui a fait l’objet de controverses. Si la question de la compétence était centrale dans la transmission et l’occupation de l’imamat, il faut aussi voir dans cette transmission les affinités liées à la parenté. C’est ce qui était à l’origine du conflit de 2003. En mars 2004, suite à une maladie et au poids de l’âge il décède, laissant derrière lui un vide dans la gestion de l’école coranique de la famille. Aussi, son décès ouvre la voie à des querelles violentes liées à la transmission du pouvoir religieux.

Au final, le charme de l’imamat de Bakel est la capacité des acteurs à se retrouver autour d’un « idéal parental ». Et tous mes enquêtés sans exception m'ont rappelé la phrase suivante : « Moodinkane suu naa follaque banne » c’est-à-dire « Tout moodinkané forme une seule porte (famille) ». Ne pas prendre en compte la dimension de la parenté dans l’analyse des conflits religieux à Bakel serait réducteur. Autant les conflits sont nourris par cette parenté autant la solution émanerait de la dite parenté. Le parcours de feu El hadji Mabo Dramé le confirme parfaitement.

Que la terre de Bakel lui soit légère !

 Saliou Dit Baba Diallo

Université de Poitiers (France)

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S
Merci à vous !
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M
bien dit mais c est ça l importance d un historien
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G
Bon travail
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S
Merci Gas Bakel !